Bulletin n°4

Time to Talk?

Dans ce bulletin de veille scientifique, je voulais revenir sur l’état actuel des connaissances pour l’exploration des surdités brusques, à l’occasion de la sortie dans l’American Journal of Neuroradiology d’un article de Conte et al. (au titre évocateur, abstract ici) qui décrit l’intérêt des séquences 3D-FLAIR centrées sur les oreilles internes avant et après injection de gadolinium pour l’exploration des surdités brusques.

Globalement l’article est plutôt imprécis, en comparant les séquences 3D-FLAIR aux séquences T1 dans l’exploration des surdités brusques sans la rigueur scientifique des articles de recherche en ce qui concerne les paramètres d’exploration, notamment sans préciser si les 2 séquences se font à taille de voxel identique, en écho de gradient ou en spin echo pour le T1 (même si les images laissent à supposer du spin echo).

Les auteurs décrivent 2 cadres nosologiques :

A/ Les maladies inflammatoires de l’oreille interne, il faut comprendre inflammatoire au sens large puisque les auteurs englobent les labyrinthites virales, les fistules périlymphatiques ou les maladies dysimmunitaires.

La particularité de ces maladies serait selon eux de se manifester uniquement par des anomalies sur les séquences pondérées en FLAIR sans et avec injection tandis que les séquences T1 resteraient normales. La pertinence de regrouper des maladies aussi diverses sous le terme de “tout ce qui prend le contraste en 3D-FLAIR” laisse songeuse et on rappellera l’importance de l’anamnèse et de l’exploration clinique de nos confrères otologistes dans l’algorithme diagnostique. Il est néanmoins vrai que l’extrême sensibilité des séquences 3D-FLAIR au produit de contraste, particulièrement à Temps de Répétition (TR) élevé (encore démontré récemment ici), permet dorénavant de diagnostiquer régulièrement des ruptures de la barrière hémato-labyrinthiques sous la forme de prises de contraste labyrinthiques qui ne préjugent pas de l’étiologie .

Il n’existe pas de consensus thérapeutique dans ce contexte, les traitements variants entre corticothérapie intraveineux/intratympanique ou encore vasodilatateurs ou anti-rétroviraux, on peut interroger la pertinence de l’injection à la lecture de cet article puisque d’après les auteurs les anomalies sont toujours visibles en 3D-FLAIR non injecté dans ce cadre inflammatoire.

Néanmoins on rappellera :

1/ Que pour l’exploration des schwannomes du nerf cochléo-vestibulaire, qui se manifestent dans un nombre non négligeable des cas par une surdité brusque inaugurale, la prise de contraste sensibilise le diagnostic en comparaison avec les séquences en hyper-pondération T2. Méfiance tout de même, la prise de contraste en 3D-FLAIR dans le cadre de schwannomes localisés au ganglion vestibulaire excède bien souvent le schwannome en lui-même avec un aspect de “pseudo-névrite” qui peut être déroutant de 1er abord.

2/ Que les fistules périlymphatiques s’accompagnent d’une rupture de la barrière hémato-labyrinthiques avec une prise de contraste importante, et une sanction chirurgicale en cas de concordance clinico-radiologique.

Attention aux patients déjà traités par voie intratympanique (Gentamycine par exemple dans la maladie de Ménière) qui ont une surincidence de fistules périlymphatique, mais avec une présentation clinique qui associe des vertiges aux troubles auditifs. Dans une série de 200 patients avec maladie de Ménière que nous venons de publier dans Diagnostic and Interventional Imaging (le journal de radiologie français dans sa version anglaise, dont on saluera l’entrée directe en rang B avec un IF à 2.3!), 3 présentent une fistule périlymphatique associée à un hydrops sacculaire (sans relation statistique significative entre fistule et hydrops), avec une relation forte entre fistule et traitement intratympanique, les 3 patients avec fistule explorée chirurgicalement ayant été traités par Gentamycine (article disponible pour les membres du Cireol ici).

3/ On rappellera également qu’il existe une prise de contraste physiologique des structures cochléo-vestibulaires, si vous utiliser une séquence 3D-FLAIR, estimée par Shinji Naganawa comme très progressive dans les 30 premières minutes (ici). Si vous injectez le patient avant de le mettre sur la table d’examen et que vous intercalez quelques séquences avant le 3D-FLAIR, il est tout à fait possible de voir un rehaussement le long du nerf cochléo-vestibulaire sans valeur pathologique.

On restera sceptique quand les auteurs disent que les séquences en hyper-pondération T2 sont normales dans ces pathologies inflammatoires, particulièrement pour les séquences en echo de gradient sensibles aux faibles variations de TE et de TR (Fiesta, Ciss, bFFE). Si la fibrose labyrinthique concernent essentiellement les étiologies bactériennes, l’anamnèse n’est pas toujours claire au moment de l’examen IRM.

Le chapitre sur l’utilisation des séquences 3D-FLAIR sans injection à visée pronostique pour évaluer la récupération auditive apparait plus pertinent, par exemple démontré dans cet article, qui montre que la plupart des patients qui ont un pronostic auditif péjoratif n’avaient comme seule anomalie initiale qu’une augmentation du signal labyrinthique sur la séquence 3D-FLAIR sans injection.

B/ Les auteurs décrivent enfin les pathologies « vasculaires », dont on suppose qu’elles regroupent essentiellement les hémorragies intralabyrinthiques puisque l’iconographie fournie associe hypersignal T1 et FLAIR et absence de prise de contraste.

La supériorité des séquences pondérées en FLAIR sur les séquences pondérées en T1 pour la détection des hémorragies intralabyrinthiques a été discutée par les Japonais dans cet article.

Il apparaît donc tout à fait possible d’avoir des authentiques hémorragies à T1 normal, surtout si les coupes sont « épaisses », 2 à 3 mm. Il apparaît néanmoins difficile d’affirmer sur la base d’un hypersignal T1 associé à un hypersignal FLAIR de façon absolue qu’il s’agit de produit de dégradation de l’hémoglobine, en dehors du contexte particulier des HIL post-traumatiques dont un bon signe séméiologique est la localisation préférentielle aux ampoules des canaux semi-circulaires et à l’apex de la cochlée (dont on peut voir des images dans cet article disponible pour les membres du CIREOL avec mot de passe). Le risque de fibrose labyrinthique secondaire à une hémorragie a récemment été décrit comme moins important que par le passé (ici).

Une élévation modérée du signal en T1 est tout à fait possible dans les atteintes inflammatoires du fait d’une majoration du contenu protidique des liquides labyrinthiques (voir cet article).

En conclusion, la question de comment explorer une surdité brusque avec la multiplication des protocoles IRM apparaît pertinente, mais l’article attenant reste peu informatif.

L’injection d’emblée ne permettra pas de distinguer si les hypersignaux labyrinthiques sont liés à une prise de contraste ou à un contenu liquidien anormal, et donc l’examen perdra sa valeur pronostique.

A contrario, l’absence d’injection, quelque soit les potentielles anomalies visibles sans IV est à haut risque de sous-diagnostiquer un épisode infectieux ou une tumeur.

La réalisation d’une séquence 3D-FLAIR sans puis avec IV reste chronophage mais optimale, à fortiori à la lecture du très bon article éditorial que vient de publier Sven Haller dans l’AJNR qui défend le concept de « Number Needed to Image », autrement dit du nombre d’examens minimum que va devoir passer un patient avant d’avoir un diagnostic positif sur sa maladie, générateur de coût de santé potentiellement beaucoup plus important que celui d’allonger nos protocoles d’exploration ou de ne pas choisir la modalité d’imagerie la plus sensible au prétexte de la faible incidence des anomalies recherchées.

Arnaud A.

NB: Remerciements aux Drs Michael Eliezer et Frédérique Dubrulle pour la relecture